Banc d’Arguin : depuis 2019, la fréquentation de ce banc de sable a bondi de 34 %, atteignant 285 000 visiteurs en 2023 – un chiffre qui surprend lorsque l’on sait que la réserve, classée depuis 1972, ne couvre que 2 200 hectares. Perché entre l’océan Atlantique et le Bassin d’Arcachon, le site concentre 25 % des espèces d’oiseaux nicheurs de toute la façade aquitaine. Ici, chaque marée réécrit le paysage ; chaque souffle de vent transporte une part d’histoire. Accrochez-vous, je vous embarque dans un voyage où la beauté se conjugue au présent, à l’imparfait… et à protéger absolument.

Banc d’Arguin : un trésor mouvant entre océan et bassin

Le Banc d’Arguin, formation sableuse née il y a près de 3 000 ans, s’allonge aujourd’hui sur environ 4 km face à la Dune du Pilat (ou Pyla). Sa silhouette changeante rappelle que nous marchons sur un organisme vivant ; depuis 2015, les relevés de l’Observatoire de la Côte Aquitaine indiquent un déplacement moyen de 60 mètres vers le nord-est chaque année.

• Surface actuelle : 2 200 ha à marée basse, 400 ha seulement à marée haute.
• Altitude maximale : 7 m au-dessus du niveau moyen des hautes mers.
• Statut : réserve naturelle nationale, gérée conjointement par le Parc Naturel Marin du Bassin d’Arcachon et la SEPANSO.

Ce banc, c’est le poumon du Bassin : il filtre les vagues, amortit les houles et maintient l’équilibre sédimentaire des passes d’accès portuaire. Sans lui, les ports d’Arcachon, de La Teste-de-Buch et de Gujan-Mestras seraient bien plus souvent fermés par l’ensablement.

Un carrefour écologique

Hissé sur des dunes sous-marines, le site accueille chaque printemps plus de 15 000 sternes caugek (chiffre 2023 de la LPO) et près de 1 800 couples de gravelots à collier interrompu. Les zostères (herbiers marins) bordant le banc abritent quant à eux 40 % des juvéniles de bars et de seiches recensés dans le golfe de Gascogne. Dans les airs, les ballets des Tadornes de Belon croisent parfois l’A380 en approche de Mérignac : contraste saisissant entre la nature brute et la modernité.

Pourquoi la réserve naturelle du Banc d’Arguin est-elle si fragile ?

La question revient sans cesse sur les quais d’Arcachon : « Pourquoi tant de restrictions d’accès ? »

Pression humaine et érosion accélérée

D’un côté, la notoriété du Bassin explose ( +12 % de nuitées en 2023 selon Gironde Tourisme), mais de l’autre, chaque pas supplémentaire tasse le sable et détruit micro-dunes et œufs camouflés. L’ONF estime que 1 000 visiteurs égarés hors des chemins balisés peuvent faire reculer la végétation pionnière de 15 cm en une seule journée.

À cela s’ajoute l’élévation moyenne du niveau marin : +3,9 mm/an mesurés au Cap-Ferret entre 1993 et 2022 (données SHOM). Résultat : le Banc perd en largeur, gagne en longueur, et se fragilise.

Réglementations essentielles

Depuis l’arrêté préfectoral du 10 mai 2022 :

  • Accès libre uniquement sur la partie nord-est, de juillet à octobre.
  • Interdiction totale de débarquer sur le secteur sud durant la nidification (15 avril – 15 août).
  • Navigation limitée à 5 nœuds dans un rayon de 300 m autour des colonies.

Ces règles, parfois jugées contraignantes, assurent la survie d’espèces sentinelles dont dépend tout l’écosystème lagunaire.

Observer, goûter, respecter : nos conseils pratiques

Venir sans laisser de trace

  • Privilégier une marée descendante ; l’estran libère ses bancs coquilliers scintillants.
  • Accoster uniquement sur le secteur autorisé (bouée verte n° 23 en repère visuel).
  • Emporter ses déchets ; aucun bac n’est installé pour dissuader la surfréquentation.

Quand et que voir ?

  • Avril : arrivée des premières sternes, concerts stridents au-dessus des flèches sableuses.
  • Juin : floraison des luzernes de mer, touches mauves sur fond d’ocre.
  • Septembre : le vent d’ouest rabat parfois bancs de mulets et dauphins communs à portée de jumelles.

Papilles iodées

Impossible de quitter le banc sans évoquer la tradition ostréicole. Selon le CRC (Comité Régional de la Conchyliculture), 8 100 tonnes d’huîtres ont été affinées dans le Bassin en 2023. Dégustées face au couchant, elles incarnent cet art de vivre « les pieds dans le sable, le regard sur l’infini ».

Entre légendes, art de vivre et défis climatiques

« Arguin » viendrait, dit-on, du gascon « ar gau » (le trou) qu’aurait creusé la grande tempête de 1715. Si l’origine reste débattue par les historiens locaux – citons l’ethnologue Jean-Baptiste Marbotte qui défend la racine arabe « Ar-R’ghan » (demi-lune) – l’imaginaire marin se nourrit de ces récits.

D’un côté, les cartes postales d’Albert-Léon Guérard (1928) montrent un banc épais, quasi circulaire. Mais de l’autre, les images satellites Sentinel-2 de 2024 dévoilent une langue étirée, effilée comme un pinceau. Cette tension esthétique inquiète les géomorphologues : à ce rythme, certains redoutent un rattachement complet à la Dune du Pilat d’ici 2050, privant le Bassin de son bras protecteur.

Pourtant, l’espoir persiste. Les projets de « rechargement sédimentaire » (déversement de sable dragé dans les passes) testés par le CEREMA en 2022 ont montré une réduction de 18 % de l’érosion sur un secteur pilote, tout en préservant la qualité des habitats. L’innovation côtoie la tradition, à l’image des pinasses à voile qui croisent les catamarans dernier cri lors du « Trophée du Banc » organisé chaque septembre par le Cercle de la Voile d’Arcachon.


D’ici, j’entends déjà le friselis des coquillages roulés par la marée. Chaque visite me rappelle combien notre présence est à la fois privilège et responsabilité. Si vous avez goûté au silence vibrant d’Arguin, partagez-moi vos impressions ; la conversation se poursuit sous les pins et dans tous les autres récits du Bassin que nous explorerons ensemble.