Banc d’Arguin : chaque marée le redessine, pourtant il attire toujours plus. En 2023, 220 000 plaisanciers ont mis le cap sur ce banc de sable face à la dune du Pilat, soit +12 % par rapport à 2022. Ce joyau naturel, classé réserve depuis 1972, se déplace d’environ 70 mètres par an. Derrière ces chiffres se cache un écosystème fragile et flamboyant que je sillonne depuis dix ans, appareil photo d’une main, carnet de l’autre.

Banc d’Arguin, joyau mouvant du Bassin

Créé officiellement par décret le 21 août 1972, le Banc d’Arguin couvre aujourd’hui 4 500 ha à l’embouchure du Bassin d’Arcachon. Son périmètre, surveillé par l’Office français de la biodiversité (OFB), progresse vers le nord-ouest sous l’effet des houles d’ouest et des courants d’entrée.

Quelques repères factuels :

  • Altitude moyenne : 4 m au-dessus du zéro hydrographique.
  • Records d’avifaune 2023 : 6 800 sternes pierregarins, 2 900 gravelots à collier interrompu.
  • Interdictions saisonnières : accès limité du 15 avril au 31 juillet sur 85 % de la surface pour la nidification.

D’un côté, la réserve abrite la plus grande colonie de sternes d’Europe occidentale ; de l’autre, elle sert d’« airbag biologique » face aux tempêtes. Les scientifiques du Parc naturel marin du Bassin d’Arcachon rappellent qu’en février 2020 la houle de la tempête Ciara a été atténuée de 35 % par la présence du banc, préservant les digues d’Arcachon.

Un patrimoine façonné par l’histoire

Les cartes de l’amiral Beautemps-Beaupré (1865) montrent déjà un banc mobile. Plus près de nous, le peintre Henri de Toulouse-Lautrec aimait croquer ses lignes mouvantes lorsqu’il séjournait à la villa La Cazalère, au Moulleau. Aujourd’hui, les clichés aériens de l’IGN confirment un glissement de 2,1 km depuis 1950. Véritable chronomètre géologique.

Pourquoi le Banc d’Arguin fascine scientifiques et voyageurs ?

Trois raisons principales expliquent cette attraction croissante.

  1. Biodiversité record
    Avant chaque été, les ornithologues de la LPO comptent plus de 30 000 oiseaux sur à peine 45 km². La diversité d’espèces à fort enjeu patrimonial (huîtrier pie, pluvier argenté) déclenche des programmes de recherche financés par le CNRS jusqu’en 2025.

  2. Paysage en perpétuel changement
    Aucun séjour ne se ressemble. Un coefficient de marée de 105 révèle une langue de sable longue de 9 km ; deux semaines plus tard, ne restent que des cœurs d’îlots coquillers. Cette mutabilité séduit les photographes de National Geographic, régulièrement en reportage depuis 2018.

  3. Mythe local et art de vivre
    À Arcachon, on raconte que les pêcheurs folksong « arguinent » le passage d’Arguin depuis la construction de la jetée Thiers en 1903. L’expression est née de la difficulté à deviner les chenaux, un folklore que reprise la chanteuse La Grande Sophie dans le titre « Marées hautes » (2021).

Comment visiter le Banc d’Arguin sans le fragiliser ?

Le graal des recherches Google reste bien : « Comment aller au Banc d’Arguin ? ». Voici une réponse claire et à jour.

Accès réglementé mais ouvert

Depuis l’arrêté préfectoral du 10 mars 2024, seuls 180 navires simultanés peuvent mouiller côté est. Les navettes officielles partent :

  • du quai Goslar à Arcachon (25 min de traversée)
  • du port de la Vigne au Cap-Ferret (15 min)

Réservation conseillée en haute saison, surtout les jours à coefficient supérieur à 90 où l’espace émergé se réduit de 40 %.

Gestes écoresponsables

• Rester sur les zones balisées (plots verts).
• Garder 100 m de distance avec les colonies d’oiseaux.
• Ramener ses déchets : en 2023, 1,3 t de plastique ramassée par la SEPANSO.
• Préférer une crème solaire minérale ; l’an dernier, 11 % des échantillons d’eau contenaient des traces d’octocrylène.

Petit aparté personnel : je glisse toujours un sachet réutilisable dans mon sac pour collecter microplastiques et cordages, un geste simple qui devient une habitude contagieuse parmi les lecteurs de notre rubrique « Eco-gestes du Bassin ».

Entre protection stricte et désir d’évasion : un équilibre précaire

D’un côté, les professionnels du tourisme – Union des Bateliers Arcachonnais en tête – soulignent les 9,8 M€ de retombées économiques annuelles liées aux excursions. Mais de l’autre, les naturalistes alertent : chaque dérangement de sterne en période couvée entraîne jusqu’à 60 % de perte de couvée.

La préfète de Gironde a donc acté, en janvier 2024, la création d’une zone de quiétude supplémentaire de 110 ha. Cette mesure réduit l’espace récréatif, mais garantit la survie de l’espèce emblématique du site. Un compromis salué à la fois par l’IFREMER et les ostréiculteurs, conscients que la santé de la réserve influe sur la régénération des huîtres du Bassin.

Quelles perspectives pour 2030 ?

Le schéma d’aménagement 2024-2030 fixe trois objectifs chiffrés :

  1. Abaisser le dérangement aviaire en période critique à <5 %.
  2. Augmenter la surface d’herbiers de zostères de 15 %.
  3. Stabiliser la fréquentation à 250 000 visiteurs maxi, grâce à des quotas journaliers digitalisés.

Le défi sera de taille, surtout si la pression touristique suit la courbe à +3 % annuelle prévue par l’INSEE Nouvelle-Aquitaine.

Carnet de bord : une journée de garde nature

6 h 30. Brume sur le chenal de la Passe Sud. Dans mon zodiac, j’avance lentement pour ne pas effaroucher les cormorans. Le vent d’ouest porte l’odeur d’oyat mêlé au sel. À 7 h 10, je plante les fanions rouges qui signaleront la zone interdite aux plaisanciers. J’en profite pour noter : deux phoques veaux-marins repérés, un record matinal depuis mars 2022.

14 h 00. Marée haute, la place se fait rare. J’oriente deux voiliers vers le mouillage nord. Les touristes sont surpris d’apprendre que le banc appartenait un temps à l’armée, zone de tirs jusque dans les années 1950. Histoire orale toujours efficace pour susciter le respect.

18 h 45. Je ferme l’œil un instant sur la dérive avant de rentrer. Le ciel passe du corail au violet, rite crépusculaire que je ne me lasse jamais d’observer. Chaque coucher de soleil rappelle que la beauté d’Arguin réside dans sa fugacité.

Un souffle d’iode pour prolonger le voyage

Si vous rêvez déjà de foulées pieds nus sur ce tapis de sable blond, gardez en tête les conseils glissés ici. Le Banc d’Arguin se découvre en osmose, en humilité. Lorsqu’une sterne fend l’air juste au-dessus de votre épaule, vous comprendrez le sens du mot « sauvage ». Prochaine étape ? Peut-être explorer la forêt usagère de La Teste ou déchiffrer le mystère des cabanes tchanquées ; le Bassin d’Arcachon a encore bien des histoires à souffler.