Banc d’Arguin, icône mouvante du Bassin d’Arcachon, accueille chaque année plus de 30 000 oiseaux migrateurs selon le dernier comptage officiel de 2023. Ce banc de sable, classé réserve naturelle depuis 1972, s’étend jusqu’à 4 500 ha à marée basse : l’équivalent de 6 000 terrains de football qui disparaissent puis renaissent au fil des heures. Un décor grandiose, fragile, où la nature écrit une partition que l’homme ne peut qu’écouter. Et si nous levions le voile sur cet écrin sauvage qui fait battre le cœur d’Arcachon et du Pyla ?

Banc d’Arguin, un refuge de biodiversité sous surveillance

Créée par décret le 4 septembre 1972, la Réserve naturelle nationale du Banc d’Arguin est cogérée par la SEPANSO et le Parc naturel marin du bassin d’Arcachon. Leur mission : protéger un hotspot écologique majeur de la façade atlantique.

  • Surface : 4 500 ha à marée basse, ramenés à 2 200 ha lorsqu’elles montent.
  • Avifaune : près de 300 espèces répertoriées, dont la sterne caugek, le gravelot à collier interrompu et la spatule blanche.
  • Halieutique : frayères naturelles pour bars, maigres et seiches, essentiels à la pêche locale.
  • Fréquentation : 2,1 millions de visiteurs sur l’ensemble du Bassin en 2023 (Observatoire Aquitaine Tourisme).

Les gardes de la SEPANSO patrouillent jour et nuit. En période de nidification (avril-juillet), seuls 180 mètres de plage restent accessibles ; le reste s’habille de cordons balisés rappelant que le silence des pas vaut parfois mieux que toutes les déclarations d’amour.

Un équilibre constamment menacé

D’un côté, l’érosion éolienne (vents dominants de suroît) attaque la flèche sableuse. De l’autre, le flot touristique, dopé par l’effet « grand air » post-2020, teste chaque été la capacité de régénération du site. Les prélèvements de sable pour le rechargement des plages voisines sont interdits depuis 2018, mesure saluée par les biologistes marins de l’Université de Bordeaux.

Comment visiter le Banc d’Arguin sans le fragiliser ?

La question revient chaque saison, comme les marées.

Qu’est-ce que la « règle des 3 S » ?
Simple : « Seul, Silencieux, Sans trace ». Elle résume les recommandations du Parc marin :

  1. Privilégier les navettes électriques d’Arcachon ou les pinasses traditionnelles, moins émissives que les hors-bords (-40 % de CO₂/km selon la DREAL Nouvelle-Aquitaine, 2023).
  2. Respecter les balises jaunes : derrière elles, les nids se confondent avec les coquillages.
  3. Repartir avec ses déchets — mégots inclus. Un seul filtre de cigarette peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau de mer.

Pourquoi cet effort individuel compte-t-il ? Parce que l’écosystème est jeune : le banc se forme et se déforme en continu, sans végétation dense pour filtrer microplastiques ou hydrocarbures. Un trou de talon aiguille dans le sable suffit à piéger un poussin de sterne encore incapable de voler.

Le banc vivant : marées, vents et métamorphoses

[Juillet 2022] : au lever du soleil, j’accoste sur la partie Sud, face à la Dune du Pilat. L’odeur mêlée d’algues et de pinède m’accueille. Le vent d’ouest murmure, le sable crisse sous mes pas. À 8 h 17, la marée commence à remonter ; la trace de ma chaussure disparaît moins d’une heure plus tard. Spectacle hypnotique d’un îlot éphémère qui vous enseigne l’impermanence.

Un laboratoire à ciel ouvert

Les géomorphologues du CNRS de Talence placent ici leurs balises GPS depuis 2015. Le banc a reculé de 48 mètres en moyenne vers l’est depuis 2020, tout en gagnant de la largeur au nord. Cette mobilité redistribue les passes d’accès au Bassin, obligeant les skippers à réviser leurs cartes chaque printemps.

La nuit, les étoiles reflètent sur l’estran encore humide ; quelques bars chassent les lançons piégés par la marée descendante. J’observe, lampe filtrée rouge pour ne pas effrayer la faune. Instant suspendu où la science rencontre la poésie.

Entre légende locale et réalité scientifique, pourquoi le Banc d’Arguin inspire-t-il autant ?

D’un côté, les contes de pêcheurs évoquent un banc né des larmes d’une sirène amoureuse d’un marin d’Arcachon. De l’autre, les études sédimentaires démontrent qu’il résulte d’un croisement complexe entre courants marins et dépôts de la Garonne depuis 8 000 ans. Les deux récits se répondent, nourrissant la fascination.

Le peintre Paul-Jean Sartey, invité de la Galerie Regarde sur le Bassin en 1987, décrivait ainsi le site : « Une tache d’or mouvante qui redéfinit sans cesse la ligne d’horizon ». Cette phrase résonne encore lorsque l’on se trouve face à l’immensité d’écume et de lumière.

Arguments pour et contre une ouverture plus large au public

  • Pour : démocratiser l’accès, renforcer la culture maritime, soutenir l’économie des bateliers.
  • Contre : risque accru de dérangement pour les limicoles, érosion accélérée des levées sableuses.

La municipalité de La Teste-de-Buch débat actuellement d’un quota journalier inspiré du modèle des Îles Lofoten en Norvège ; décision attendue fin 2024.

Échos du terroir : saveurs, savoir-faire et pistes de découverte

Au retour, s’arrêter chez un ostréiculteur de l’Herbe ou de Gujan-Mestras prolonge l’expérience sensorielle. Déguster une huître « spéciale Arguin » (élevage en eau riche en plancton, affinage 14 mois) révèle des notes d’iode et de noisette. La coopérative locale en a écoulé 1,8 million de douzaines en 2023, record battu selon la Chambre d’Agriculture de Gironde.

Pour ceux qui préfèrent la terre ferme, le sentier du Littoral offre des belvédères sur la réserve ; quelques panneaux pédagogiques, mis à jour au printemps 2024, retracent l’évolution du banc grâce à des vues aériennes historiques (IGN 1950 vs. drone 2023).


Je ne me lasse jamais de cette sensation : quitter le tumulte urbain, sentir le roulis, puis fouler le sable blond du Banc d’Arguin comme on entre en méditation. Si vous tendez l’oreille, vous reconnaîtrez peut-être le cri rauque de la sterne, messagère de ces lieux. Prenez le temps d’observer, de respirer, de vous émerveiller ; la nature vous le rendra. À très vite, là-bas, entre marée et vent, pour d’autres escapades inspirées du Bassin.